mardi 30 avril 2013

Bon Premier Mai !

Don Carlo de G. Verdi au T.C.E.

Ce fut, hier soir, une excellente soirée d'opéra au Théâtre des Champs Elysées.

L'orchestre et le choeur du Teatro Regio Torino, sous la direction de Gianandrea Noseda, ainsi que les solistes en grande partie italiens, nous on régalés de cette oeuvre magistrale de Giuseppe Verdi, Don Carlo, qu'ils venaient de représenter dans la ville italienne.
Don Carlo à Turin - L. Tézier et B. Frittoli

Il existe plusieurs versions de Don Carlo :
  • la première en cinq actes et en français sans ballet, de 1866
  • la version de Paris, création le 11 mars 1867 : Verdi ajoute le ballet "La Pérégrina" et remanie l'oeuvre pour maintenir la durée à trois heures. Il supprime surtout la première partie de l'acte I
  • la seconde, dite Version de Milan (1884), en quatre actes, révisée par le compositeur, sans l'acte I dit "de Fontainebleau" mais sauvant l'air du ténor replacé au début du II et sans ballet, créée à La Scala en 1884. Il manque également dans cette version, un très bel ensemble entre Philippe II et Carlo + quelques choristes au troisième acte, après la mort de Don Posa
  • Version de Modène (1886) : ici, on retrouve l'acte I dans sa forme abrégée de la création à Paris ; il s'agit d'une version hybride entre les versions de 1867 et de 1884.
  • de multiples autres versions ont été représentées, réintroduisant le premier acte et effectuant d'autres coupures par ailleurs... 
  • Les choses sont encore compliquées par des découvertes récentes qui ont été faites de partitions de la version originale. La question de la "bonne" version reste donc ouverte... !
Hier soir, c'est la version de 1884 qui nous a été représentée.

Les choristes du Teatro Regio Torino, grands habitués de ce répertoire, nous ont gratifiés d'un bel ensemble de belles voix, homogène et sonore. Ils ont fourni une belle prestation surtout dans la scène dite "de l'autodafé" au III.
Gianandrea Noseda
L'orchestre, quant à lui, emmené avec précision et vigueur, lyrisme et maturité par son chef Gianandrea Noseda, a très largement contribué aux grandes émotions qui nous ont parcourus lors de cette soirée.

Je salue les quatre rôles très épisodiques de la distribution : Dario Prola, Luca Casalin, Sonia Ciani et Erika Grimaldi. Cette dernière, soprano au joli timbre et à la légèreté tout aussi céleste que la "voix céleste" qu'elle incarne au III.

La très jeune et très belle basse de Roberto Tagliavini nous promet, d'ici quelques années, des rôles plus consistants que celui du Moine d'une très belle tenue.

Marco Spotti



La très puissante scène où s'affrontent et se défient, vocalement les deux grands rôles de basse de l'oeuvre a été d'une très grande intensité. Le Grand Inquisiteur, en la personne du jeune Marco Spotti, voix ample, timbre percutant, affrontait le velours du timbre de Ildar Abdrazakov en Philippe II, non dénué pour autant de vaillance ni d'autorité. Un très grand moment !



Ildar Abdrazakov


Un moment d'une grande émotion également, l'air de Philippe II qui entame le IIIème acte. IldarAbdrazakov l'interprète presque exclusivement en demi-teinte, bien timbrée, très soutenue avec des phrasés d'une incroyable longueur. Et lorsqu'il lâche la bride à sa puissance et au lyrisme voulu, c'est tout simplement héroïque ! La longue salve d'applaudissements qui a salué cet air, de même que son salut final, fut à la hauteur du talent de ce chanteur.



Ludovic Tézier

Autre grand moment de cette oeuvre, le duo entre Philippe II et Don Posa au second acte. Là encore, deux personnalités se mesurent, deux conceptions du mondes, deux intelligences, deux sensibilités enfin qui vont se trouver et, finalement, s'accorder. Face à la basse russe, Ludovic Tézier a été, malgré son handicap physique passager, d'une très grande présence. Gêné surtout dans le médium, il lâcha ses aigus (sauf un) sans défaillance et nous assura d'un beau duo avec Carlo au I et dans la scène 2 du IV où il meure "en beauté" si j'ose dire... 



Stefano Secco



Stefano Secco qui a sauvé la soirée, aura été, tout au long de l'oeuvre, un Carlo tout à fait honorable.
Certes son timbre n'est pas d'une grande richesse et les aigus manquent de rondeur ; mais ils sont là, le style également et l'engagement dans le rôle d'une grande sensibilité.





Daniela Barcellona




La Princesse Eboli, en la personne de la mezzo Daniela Barcellona, possède une voix vaillante agréablement timbrée. Son air "O don fatal" est d'une excellente ferveur vocale et d'une belle maîtrise.




Barbara Frittoli


Dans Don Carlo, Elisabeth de Valois doit attendre le dernier acte pour déployer pleinement sa vocalité sa personnalité. Son air la rétablit dans sa maturité et donne là, toute sa force sensible, ce qui manque un peu à ce personnage dans le reste de l'oeuvre. Barbara Frittoli, malgré, elle aussi, son indisposition passagère, ne sera que peu gênée dans le médium. Ses aigus sont vaillants, le style d'une belle tenue.



Au final, nous avons, grâce à Verdi et à cette oeuvre que j'adore et dans laquelle j'ai toujours pensé qu'il n'y avait pas une note de trop dans ces trois heures, une très belle soirée d'opéra, où les chanteurs ont pu nous émouvoir et nous procurer un immense plaisir, sans falbalas mais sans partition ni pupitre, simplement en interprétant ce qui est écrit et composé, sans intellectualisme de bazar...

Merci au T.C.E. pour ce moment magique !










samedi 13 avril 2013

Siegfried à Bastille - 11 avril 2013

"Petit garçon dans la cour des grands"
Siegfried et Fafner (Torsten Kerl et Peter Lobert)

J'ai recherché dans mes archives mes impressions sur la représentation de la première série du Ring concernant cette seconde journée. Je ne l'ai pas trouvée, ce qui tendrait à prouver que je n'en ai rien dit...

Quant à cette représentation de Siegfried, si elle ne me laissera pas un souvenir impérissable, elle aura au moins permis que je m'interroge sur le manque d'intérêt que continue de susciter, pour moi, cette seconde journée de la Tétralogie.

Car, en effet, il s'avère au fil des représentations déjà vues, que la musique de Richard Wagner n'entre, en définitive, que pour très peu dans mon imperméabilité - j'ai même ressenti jeudi soir, grâce à Jordan et à son orchestre, de belles émotions lyriques - mais que ce magnifique héros dont l'imagerie descend du fond des légendes nordiques et germaniques, ne parvient pas à me convaincre de son essence "humaine surnaturelle". Même pas au troisième acte lorsqu'il est atteint par les mystères de l'amour et de la peur.

J'ajouterais que mon désintérêt à son endroit n'est qu'un supplément à sa malchance. Car enfin, voici le petit-fils du dieu des dieux, conçu dans l'inceste par les jumeaux dudit Wotan et d'une terrienne, donc davantage divin qu'humain, et destiné à devenir le super héros chargé de toutes les qualités physiques (beauté, force, vitalité et héroïsme forcément) dans la tête duquel on a placé un petit pois ! Ses émois, ses réflexions, ses choix sont primaires. Sa solitude devrait émouvoir, elle énerve. Ses actions devraient être éclatantes, il n'hésite pas à éliminer, plutôt férocement, tout ce qui l'entoure, y compris son grand père - certes, il ne sait pas qu'il l'est, mais tout de même ! -. Sa bêtise me navre, et je lui préfère les turpitudes des Nibelungen et autres dragons.
Siegfried et Mime (Torsten Kerl et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke)

Que penser donc, de ce modèle auquel s'est identifiée toute une génération en Allemagne ?

Je comprends mal, enfin, que Brunehilde, la vierge courageuse de la première journée, quitte sa condition de divinité pour convoler avec cet énergumène naïf, certes séduisant et brave, mais dont la simplicité ne peut que la conduire à sa perte. Il en est malheureusement des personnages d'opéra comme des êtres qui nous entourent, on ne comprend pas toujours leurs motivations... 

Il est bien évident que la mise en scène ridiculement réductrice de Günter Krämer, en grossissant les effets, en maintenant Torsten Kerl dans cet infantilisme jusqu'au bout, en déguisant Mime en vieil homo des années soixante-dix, n'aide pas vraiment à élever le débat.

Qu'à cela ne tienne, je ne manquerai en aucune façon la troisième et ultime journée qui verra l'effondrement de la puissance divine !

Pour en revenir à cette représentation de jeudi, elle doit comme je l'ai dit plus haut, toute sa force de persuasion à son directeur musical, Philippe Jordan, et au merveilleux orchestre de l'Opéra de Paris qui ont produit des sonorités merveilleuses de cette partition, une clarté, un moelleux, une sensualité qui nous ont enchantés, particulièrement au cours du prélude et pendant le duo du dernier acte.

Côté chanteurs, Egils Silins (le Voyageur-Wotan), souffrant, a tenu à assurer sa participation, ce qui est courageux mais, avec des moyens très amoindris, ce qui s'est surtout ressenti dans les actes II et III. 
Egils Silins et Peter Sidhom (Le Voyageur et Alberich)

Pas de miracle non plus du côté de Torsten Kerl (Siegfried) qui chante avec style mais dont le beau timbre de ténor est par trop faible, presque absent dans le médium, et qui ne retrouve un peu de vaillance vocale que dans le suraigu. 

Les deux "Peter" - Sidhom (Alberich) et Lobert (Fafner) sont excellents vocalement et scéniquement.

Contrairement à son partenaire, Alwyn Mellor (Brunehilde) passe facilement l'orchestre et emplit Bastille de sa puissante voix. Son chant n'est pas pour autant dénué d'imperfections dans les aigus, souvent à l'arrachée, criés ni dans la justesse quelquefois approximative.

Qiu Lin Zhang est toujours, en dépit du vibrato, la magnifique Erda que son contralto déploie avec aisance.
Siegfried - Mime (Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Le triomphateur de ce plateau reste, sans conteste, le ténor Wolfgang Ablinger-Sperrhacke dans le rôle de Mime. La voix est exactement celle qui convient à cette tessiture singulière. Quant à sa prouesse scénique, elle est époustouflante de drôlerie, de justesse dans les déplacements, les mimiques et les gestes. Si, comme je l'ai dit, on peut souhaiter un Mime plus tortueux, plus noir, ce qu'il réalise ici en suivant, j'imagine, la direction d'acteur indiquée par Krämer, est assez prodigieux.

Globalement, j'ai ressenti une fatigue certaine de tous les chanteurs. La série est resserrée, les rôles lourds pour certains et la saison déjà bien avancée.


Rendez-vous en juin pour la suite du feuilleton...
















mercredi 10 avril 2013

Zao Wou-ki : le Maître des Espaces Vertigineux

Zao Wou-Ki à Paris en 2003
Ce Maître franco-chinois de l'abstraction lyrique, venu de sa Chine lointaine en 1948, a cessé de vivre hier, à 93 ans, en Suisse.

Zao Wou-Ki Portrait de femme - 1949
Né à Pékin le 1er février 1920, T'chao Wou-Ki est issu d'une famille d'intellectuels. La calligraphie habite son enfance et à quinze ans, il entre à l'Ecole des Beaux-Arts de Hangshou où, avec les techniques de la peinture à l'encre, il étudie l'art occidental. Mais l'académisme l'ennuie, il lui préfère l'impressionnisme, le fauvisme qui éclatent en Europe. Ce qu'il veut c'est  "juxtaposer des formes, les assembler pour qu'on y retrouve le souffle de l'air sur le calme de l'eau".

"La nécessité de quitter la Chine pour venir m'installer en France a été le premier geste chirurgical pratiqué sur ma propre culture pour commencer à régler définitivement le problème. C'était ça ou mourir"  Débarqué à Marseille après un mois de bateau, il prend le train pour Paris. Au chauffeur de taxi qui le charge à son arrivée, il n'indiquera que le seul mot français qu'il connaissait : "Montparnasse"

Dès son arrivée, il opte pour son pseudonyme "Zao Wou-Ki" et file au Louvre. Très vite, il s'entoure de nouveaux amis : Giacometti, Soulages, Henri Michaux... Il rend hommage à Matisse dans un de ses premiers tableaux. Pas encore familiarisé avec la langue française, il s'inscrit dans le mouvement qui porte les peintres de cette époque vers l'expérimentation de l'abstrait. En 1951, sa rencontre avec Paul Klee est déterminante. Le Maître l'invite "à déconstruire son style".
Zao Wou-Ki - Dyptique

Passionné d'art et de littérature, Zao Wou-Ki s'immerge très vite dans le milieu parisien mais n'en oublie pas pour autant ses racines chinoises, inscrivant des idéogrammes sur ses compositions où la couleur se déploie en espaces vertigineux.

C'est l'époque où sa peinture devient, comme il le dit lui-même "illisible", tendant vers "une écriture imaginaire, indéchiffrable".

Son ami Henri Michaux écrira, pour la préface d'une exposition à New York en 1952, que l'art de Zao Wou-Ki c'est : "Montrer en dissimulant, briser et faire trembler la ligne directe, tracer, en musant, les détours de la promenade et les pattes de mouche de l'esprit rêveur"
Zao Wou-Ki - Sans titre


A près de 90 ans, il réalise son oeuvre ultime en expérimentant un nouveaux talent artistique : des vitraux. Ceux du Prieuré de Saint-Cosme en Touraine que son ami, le poète français François Cheng, le convainc d'orner à l'encre de Chine.

Zao Wou-Ki Académicien


Mondialement célèbre, des rétrospectives lui sont consacrées tout au long de sa carrière et de nombreuses distinctions lui sont remises. En France, il reçoit la médaille de Grand Officier de la Légion d'Honneur des mains de Jacques Chirac et est élu à l'Académie des Arts et Lettres.




Il sera invité à revenir en Chine en 1983 pour y exposer à Pékin et Hangzhou. Il y retourne en 1985 pour enseigner et faire découvrir à ses élèves l'art occidental, auparavant prohibé.

Espérons que sur les cendres colorées du grand artiste Franco-Chinois, les héritiers cesseront leur polémique, survenue en 2012 quand son épouse, Françoise Marquet, décida de quitter le quartier de sa vie, Montparnasse, pour s'installer en Suisse. La bataille oppose en effet l'épouse à son beau-fils né d'un premier mariage et qui l'accuse d'avoir provoqué ce déménagement pour faire main basse sur l'oeuvre de l'artiste. Cette dernière, de son côté, invoque les meilleures conditions de soins que nécessite l'état de santé du peintre atteint d'Alzheimer.

Le Maître des Espaces Vertigineux méritait mieux, au soir de sa vie, que cette querelle familiale dictée par l'intérêt.
Zao Wou-Ki dans son atelier de "Montparnasse"


A Paris, on peut voir des oeuvres de Zao Wou-Ki principalement au Centre Pompidou et au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.