vendredi 20 décembre 2013

Dialogues des Carmélites au TCE


Il est réducteur de penser que "Dialogues des Carmélites" n'est qu'une illustration des usages du Carmel et du martyr des carmélites sous la Terreur.

Bernanos et Poulenc nous proposent de bien plus vastes et plus intéressantes réflexions dans l'univers conventuel et dans l'âme des personnages sous les voiles des carmélites.


Olivier Py, dans sa mise en scène rigoureuse et crépusculaire, nous en offre une large palette grâce à une direction d'actrices qui brandissent leur foi comme un étendard et comme paravent à toute atteinte extérieure. Mais, le moment venu, cette foi sera la force de leur martyr.


Le décor tout en simplicité sait nous révéler les divers lieux de l'enfermement :

  • l'hôtel particulier du Marquis de la Force qui recèle des siècles de conventions incapables de nourrir l'esprit fébrile de sa fille, Blanche, qui n'arrive pas à imaginer sa place dans cette société
  • le Carmel où elle se réfugie, croyant trouver la sérénité et ne rencontrant que le doute sans être débarrassée de sa peur viscérale
  • la cellule où Mme de Croissy vit une agonie si proche de celle du Christ qu'elle étendra ses bras en croix dans l'attitude du Sauveur
  • la prison où s'exacerbe l'oppressante certitude qu'aucune échappatoire ne viendra modifier la sentence finale.
Olivier Py maîtrise tout cela parfaitement et distribue à chacune des cinq personnalités l'incarnation qui lui est propre :
  • l'incandescence radieuse de Constance
  • la force orgueilleuse et la rigueur de Mère Marie
  • l'agonisante Mme de Croissy, au pied du mur dans son difficile et inéluctable rendez-vous avec Dieu
  • la lumineuse grandeur d'âme de Mme Lidoine
  • la grande faiblesse qui met Blanche en perpétuelle perdition, sauvée in extremis de son propre mépris.
Olivier Py nous révèle également que Constance irradie et attire Blanche, que Mère Marie aspire Blanche vers le haut, que Blanche se laisse diriger par Mère Marie (physiquement, Py l'accroche à l'épaule de Mère Marie plusieurs fois), Mme Lidoine s'impose à "ses filles" tout en douceur et efface l'influence de Mère Marie auprès d'elles.

Très bien, également, les tableaux vivants des Ecritures qui ponctuent la vie des Carmélites (Annonciation, Nativité, Passion). N'utilisant que les accessoires-symboles, chaque tableau est une image fugitive et très simple à la manière des tableaux des Primitifs.

D'une manière générale, au niveau vocal, cette distribution impressionnante est à qualifier d'excellente. J'oserai toutefois d'infimes réserves.



La direction de Jérémie Rohrer imprime à l'Orchestre Philharmonia un tempo vif, constant qui rajeunit la partition, révélant la dissonance. Les pupitres des vents ne le suivent parfois que difficilement.




Les rôles masculins, forcément secondaires dans cette partition, sont globalement excellents. Mention particulière à la diction et à la belle ampleur de la basse Philippe Rouillon en Marquis de la Force et à François Piolino, prêtre-confesseur du couvent, très convaincant vocalement et scéniquement.
Salut de Philippe Rouillon

R. Plowright ici à droite
Théâtralement, Rosalind Plowright (soprano d'origine) réussit une performance incontestable, rehaussée
par la vision en surplomb que nous avons de son lit d'agonie. Vocalement, ce rôle de contralto l'oblige à utiliser au moins trois registres, trois voix différentes dont elle ne maîtrise pas les liens de passage qui devraient les relier. Il en résulte - au moins pour moi - un grand inconfort d'écoute.



S. Koch entre AC Gillet et J. Rohrer
La voix de Sophie Koch gagne en sûreté dans l'aigu. Elle s'impose avec talent dans le rôle de Mère Marie qui est écrit pour un "Grand Lyrique" selon la partition que j'aie pour quelques temps en ma possession. La mezzo-soprano qu'elle est toujours parvient à dominer la tessiture du rôle. Il m'a toutefois semblé que son timbre y perdait en rondeur. Belle prestation d'ensemble cependant avec une belle présence scénique, à la fois fière face à la Seconde Prieure et presque maternelle avec Blanche.

V. Gens, 3ème en partant de droite
Grande admiratrice de Régine Crespin, j'ai bien sûr dans l'oreille son incomparable Mme Lidoine à la diction parfaite, assise sur le velours de son timbre.
J'ai cependant été tout à fait séduite par l'élégance radieuse du chant de Véronique Gens. L'air d'entrée au III où Mme Lidoine rassure "ses filles après cette première nuit de prison..." recélait toute la sérénité voulue, une grande musicalité et beaucoup de tendresse. Un très beau moment.


Je ne sais si nous devions regretter Sandrine Piau,souffrante. Très certainement. Il convient cependant de souligner que nous n'avons eu qu'à nous réjouir d'avoir pu, pour cette série de représentations, trouver dans le panel actuel de chanteuses possibles, les voix et les talents d'un grand niveau dans le réservoir du chant francophone. En effet, Anne-Catherine Gillet et Sandrine Devielle se sont succédées pour la remplacer, avec un égal bonheur.
Anne-Catherine Gillet

Anne-Catherine Gillet, qui a déjà endossé les doutes de Blanche tout récemment, a repris ici l'habit de Constance avec toute la juvénilité souhaitée. Elle irradie véritablement par sa vocalité sans faille, son timbre léger et coloré, sa parfaite précision. Sa tenue en scène est toujours d'un grand naturel et nous délivre un personnage lumineux, vif et léger qui n'est jamais mièvre.

J. Rohrer, Patricia Petibon, V. Gens
Mon avis a toujours été réservé vis à vis de Patricia Petibon. Ses interprétations ne m'ont jamais passionnée et je suis assez imperméable à son timbre. Je reconnais que, si bien cadrée théâtralement ici, elle livre une interprétation de grande qualité du rôle de Blanche de la Force, juste et sans effet surjoué. Vocalement, son médium s'est suffisamment élargi, tout en conservant la pureté de ses aigus.

Un cinquantenaire de la mort de Francis Poulenc, célébré de très belle manière avec cette production des "Dialogues des Carmélites" au TCE.

Un moment lyrique fort dans cette saison parisienne.



jeudi 12 décembre 2013

De Traviata en Traviata...

J'ai quasiment vécu ces quinze derniers jours en compagnie de Violetta Valery.

En effet, MEZZO Live HD puis MEZZO rediffusent la production de Covent Garden de 2009 avec Fleming, Hampson et Calleja, Pappano à la direction d'orchestre.

Ce n'est pas l'enthousiasme - mais bien plutôt le désert sur les autres chaînes - qui guida mon choix de visionner cette production, enregistrée en 2009. Je craignais les voix fatiguées de Fleming et Hampson. Il n'en fut rien, bien au contraire !

Les trois chanteurs étaient, ce soir-là, dans une forme extraordinaire, tant vocalement que scéniquement. C'était la soirée (comme cela se produit quelquefois) à laquelle il fallait assister à Londre cette année-là. J'ai été saisie par la qualité vocale de la soprano américaine, le moelleux de son timbre, ses facilités dans l'aigu et son agilité dans les vocalises. Hampson, son compatriote, retrouve là tout son talent de baryton avec un legato d'une grande stabilité et son beau timbre sur toute la tessiture. Quant à Joseph Calleja, la légèreté de son timbre et sa belle technique font merveille.

Dans une mise en scène et des décors "conventionnels de chez Conventionnel", ce fut un pur régal que de suivre cet opéra et j'y suis allée de ma larme dans la scène Violetta-Germont du premier tableau du II ainsi qu'à la fin.
Renée Fleming et Joseph Calleja dans Traviata

La direction de Pappano est sûre, lumineuse et très attentive. Un vrai régal que ceux qui reçoivent MEZZO peuvent encore voir le 19/12 à 16 h 45 et le 23/12 à 17 h.

Une grande soirée à laquelle les spectateurs londoniens ont fait une ovation debout. J'ai revu cette production une semaine plus tard avec le même plaisir et la même émotion.

J'étais donc d'autant plus curieuse d'assister à l'ouverture de la saison 2013/2014 de La Scala de Milan, le 7 décembre dernier. Quelle déception !...
La Traviata 2013 à La Scala - Acte 1
Le metteur en scène, Dimitri Tcherniakov, a confondu l'opéra de Verdi avec un mélange de la Veuve Joyeuse (Léhar) pour les scènes de salons et l'Auberge du Cheval Blanc (Benatzky) pour l'acte II. Une direction d'acteurs catastrophique, de fausses bonnes-idées, des attitudes compassées qui n'apportent rien et surtout pas d'émotion. Quant aux costumes et autres accessoires dont la pauvre Diana Damrau est affublée, ils la font ressembler à la Castafiore, la vieillissent de 15/20 ans et décrédibilisent fortement le personnage.
Diana Damrau - Traviata à La Scala

Renée Fleming (54 ans) est plus jeune et plus lumineuse, même en gros plan, que la soprano allemande (42 ans) ! Affublée d'une perruque blonde aux mèches plaquées au premier acte, d'une autre, ébouriffée celle-là au second tableau du II, les deux font ressortir sa bonne mine joufflue. Quant aux robes, elles accentuent les formes généreuses de la chanteuse, nous interdisant de croire, malgré son talent vocal, au drame qui nous est exposé.

Vocalement, Damrau chante parfaitement, avec une technique irréprochable et une facilité déconcertante. Mais cela ne suffit pas à créer une ambiance dramatique à laquelle on puisse être sensible.

Le ténor polonais Piotr Beczala et le baryton Zeljko Lucic sont insuffisants sur cette scène prestigieuse. Quant à Daniele Gatti, il ne peut s'empêcher d'alourdir et d'étirer les sons. Pappano, dans ce répertoire, lui est cent fois supérieur.

Donc, en résumé et si vous recevez MEZZO, regardez La Traviata de Covent Gerden, vous passerez un magnifique moment d'opéra !

dimanche 1 décembre 2013

Elektra de Richard Strauss à l'Opéra Bastille

Oreste, Electre et Hermès
devant la tombe d'Agamemnon
Les mille et une occupations de cet automne ont retardé la mise en ligne de mes impressions sur la représentation d'Elektra de Richard Strauss que j'ai vue à Bastille le 11 novembre dernier. Je vous les livre donc aujourd'hui.

Une magnifique soirée où, pendant 100 mn, j'ai été secouée, ébranlée, choquée mais, aussi, enchantée, transportée, chavirée, enflammée... !

Cette oeuvre, musicalement d'une force inouïe, frappe autant les oreilles que l'esprit. La tragédie grecque est sublimée par le lyrisme et la puissance dégagés par cette orchestration flamboyante.

La direction de Philippe Jordan est, une fois encore, exemplaire de lumière et de précision. Depuis l'avant-dernier rang du second balcon, j'ai perçu les interventions de certains pupitres comme autant de mini-parties solo et j'ai savouré l'intensité de la masse orchestrale qui résonne jusqu'au fond du corps. Un grand bravo au talentueux orchestre de l'Opéra National de Paris, si riche en nuances et en sonorités.





J'ai rarement été déçue par les mises en scène de Robert Carsen.

J'ai d'autant plus apprécié celle-ci que, pour une fois, les spectateurs des balcons sont, certainement, ceux qui en ont le mieux profité. Les mouvements chorégraphiques en étoile ou en déplacements géométriques étaient magiques. 




L'arrivée de Klytämnestra, vêtue de blanc sur son grand lit blanc, porté par les servants jusqu'au duo, la place résolument au-dessus du lot commun malgré son crime.


La tombe d'Agamemnon, élément central de la mise en scène, est en quelque sorte la source où Elektra prend toute sa force de résistance.

Le tout est constamment baigné par les très beaux éclairages de Carsen lui-même et de Peter Van Praet.

Une mise en scène où l'esthétisme produit l'émotion. Beaucoup - et c'était tentant - ont comparé cette production à celle de Patrice Chéreau cet été à Aix. Ils ont regretté, ici, de ne pas avoir été pris aux tripes par l'action comme on l'était par l'intensité dramatique que dégageait la production de Chéreau où le metteur en scène avait su insuffler aux chanteurs, et surtout à son Elektra, une formidable incarnation intensément dramatique.

La mise en scène de Carsen agit différemment et procure une autre émotion, produite par l'esthétisme des déplacements, les hiatus d'atmosphères, les changements de climats.

Il y a, à mon sens, de la place pour les deux partis pris et je me suis, personnellement, autant régalée de l'une que de l'autre.

Evgeny Nikitin
Ricarda Merbeth
Waltraud Meier
Côté chanteurs, écrasés par la masse orchestrale de cette oeuvre-choc, on admettra de perdre une partie de la prosodie lorsqu'ils s'expriment dans le registre médium. Cependant, au final, les différents rôles ont été très honnêtement et honorablement servis et si la distribution - très homogène de Evgeny Nikitin (Oreste) en passant par la Chrysothémis de Ricarda Merbeth et la Klytämnestra de Waltraud Meier et jusqu'à la très belle prestation de Irène Theorin en Elektra - ne nous a pas entièrement comblés, elle nous a néanmoins procuré beaucoup de plaisir et de bonheur.


Irene Theorin