samedi 23 août 2014

Tour d'horizon des retransmissions lyriques de l'été

Avec cette seconde quinzaine d'août frisquette aux teintes déjà automnales, Le Trouvère clôturait la série de retransmissions festivalières, traditionnellement chargées d'assurer aux différentes chaînes subventionnées le quota de musique classique obligatoire dans leur cahier des charges, sans pour autant perdre trop de points d'audimat puisque les téléspectateurs habituels se cultivent sur le sable des plages.

Ce fut donc l'occasion pour nous, lyricomanes demeurés parisiens, d'assister en direct-légèrement-différé (ça laisse le prime time à d'autres programmes mais présente l'avantage de limiter le bla-bla un peu lassant de certains présentateurs) à, dans l'ordre :

  • La flûte enchantée depuis Aix-en-Provence (ARTE le 9 juillet 2014)
  • La Force du destin depuis Munich (ARTE le 28 juillet 2014)
  • Otello depuis les Chrorégies d'Orange (FRANCE2 le 5 août 2014)
  • Le Trouvère depuis Salzbourg (ARTE le 15 août 2014).
Un "Mozart" et trois "Verdi", malheureusement pour les non-verdiens mais, en ce qui me concerne, mon bonheur a été entier. Pour les autres, de quoi se consoler un peu le 29 juin sur ARTE avec la diffusion du très beau et très émouvant concert-hommage à Claudio Abbado par l'Orchestre du Festival de Lucerne et Andris Nelsons, Bruno Ganz et la violoniste Isabelle Faust. Egalement en rediffusion (mais on ne s'en lasse pas !), l'Elektra d'Aix-en-Provence 2013 mis en scène par Patrice Chéreau.


La Flûte enchantée à Aix-en-Provence donc, première étape des retransmissions lyriques. L'opéra de Mozart entre dans cette catégorie qui supporte plutôt bien les digressions en tout genre, dans la mesure où la musique n'a pas trop à souffrir de l'expérience. Celle de l'anglais Simon McBurney parvient à se maintenir dans le cadre de l'acceptable en signant une version tournée parallèlement vers le passé (les oiseaux en papier agités par les figurants et les bruitages "bricolés") et l'avenir avec les nouvelles technologies et les vidéos.


Les costumes et les décors sont majoritairement laids (Papageno en SDF) et on oubliera très vite le fauteuil roulant de la Reine de la Nuit et les masques de "vieux nains décharnés" des trois enfants.


Vocalement, la distribution, homogène, est d'un excellent niveau. Kathryn Lewek se joue des vocalises vertigineuses de la Reine de la Nuit. Le Sarastro de Christof Fischesser a manqué d'un peu de profondeur vocale mais livre une belle prestation. J'ai trouvé que Josef Wagner en Papageno restait un peu trop en deçà vocalement. Le joli timbre de la soprano norvégienne Mari Eriksmoen sert une Pamina tout en douceur à laquelle on aurait aimé un peu plus d'assurance dans le médium. Le ténor français Stanislas de Barbeyrac, fraîchement auréolé de sa Victoire 2014, a été un beau Tamino avec une belle ligne de chant. 

Le Choeur des English Voices était parfait mais les trois lutins de la Knabenchor der Chorakademie Dortmund n'étaient pas très vaillants.

Bravo au "Freiburger Barockorchester" emmené par le jeune chef espagnol Pablo Heras-Casado.


Pour en revenir à nos opéras de Verdi de l'été, reconnaissons, avant d'entrer dans les détails, que ces trois soirées ont été d'une très grande qualité, tant des chanteurs, des choeurs ou des orchestres. De précieux souvenirs, certainement, pour les heureux festivaliers qui assistaient à ces représentations.

Ceux de Munich d'abord qui ont pu applaudir l'exceptionnel trio de chanteurs - augmenté d'une basse magnifique - qui parvint à nous faire entendre une invraisemblable qualité de chant en dépit de cette mise en scène laide, confuse et prétentieuse de l'autrichien Martin Kusej.




Car, ce soir-là, associés à la basse ukrainienne Vitalij Kowaljow à la formidable élégance vocale et scénique, et soutenus par la direction enlevée de Asher Fisch, le ténor allemand Jonas Kaufmann, le baryton français Ludovic Tézier et la soprano allemande Anja Harteros ont porté aux plus haut l'art du chant verdien. Les confrontations Kaufmann/Tézier de la seconde partie ont été d'une incomparable force et d'une incroyable qualité. Frissons garantis pour la meilleure soirée lyrique, vocalement parlant, de l'été.



Tout le monde attendait le BôRoberto au tournant de sa prise de rôle dans Otello. Je craignais, pour ma part, une déconvenue semblable à sa prise du rôle de Radamès. Et, ma foi, il faut bien reconnaître que notre ténor national avait bien travaillé sa partition.



En conservant les qualités qui sont les siennes (phrasé, ligne de chant et diction) Alagna a su colorer son timbre naturel sans chercher à le noircir artificiellement et nous livre un  Otello ample et vaillant, plus lumineux sans doute que la plupart des "références du rôle". Il ne s'est heurté qu'à deux aigus délicats. Son engagement scénique est indéniable et le héros de Shakespeare lui va bien.


Face à lui, Inva Mula est une très belle Desdémone, tout à fait incarnée scéniquement et vocalement parfaite.



Le Yago de Seng-Hyoun Ko ne manque ni de présence ni de noirceur. Mais on aurait aimé un peu plus de style et de raffinement dans la ligne de vocale.

Saluons la très belle direction de Myung-Whun Chung à la tête du Philharmonique de Radio-France. L'énergie et la passion le disputent à la ligne mélodique et à la précision. Bravo !


Rien à dire de la mise en place de Nadine Duffaut.


C'est à Salzbourg et à ARTE que nous devions nos derniers frissons lyriques de cet été - juste avant d'être secoués par les frissons tout court, ceux des températures déjà bien frisquettes de ce mois d'août finissant -, avec la retransmission du Trouvère.

Cette oeuvre, pur produit de l'opéra romantique italien (Bel Canto), est un feu d'artifice vocal : airs, duos, trios, ensembles, choeurs s'y succèdent à un rythme effréné, tous plus beaux les uns que les autres, nous laissant à peine le temps de respirer entre chacun.

Pour que le bonheur soit complet, il faut un orchestre, des choeurs et des solistes de premier choix. C'était presque le cas à Salzbourg. Pour que tout soit parfait, il aurait fallu que Daniele Gatti dirige le somptueux orchestre de la Philharmonie de Vienne avec un peu plus de légèreté, un peu plus de finesse, un soupçon de nuances et deux doigts de subtilité... Las ! Ce ne fut pas le cas et on eût même à déplorer de gros décalages fosse/plateau.

De cette histoire abracadabrante,  je ne suis pas sûre que le novice aura cerné l'essentiel dans cette mise en scène du letton Alvis Hermanis. Il y a longtemps, par contre, que les initiés ont renoncé à en suivre les méandres de l'action au plus près. Si la transposition de cette action dans un musée m'a déroutée au prime abord, je lui reconnais une belle audace, beaucoup de créativité et, surtout, une grande dose d'esthétisme.

Faire exposer les faits par des conférenciers de musée en s'appuyant sur une iconographie crée par les plus grands peintres européens, incarner l'héroïne en gardienne dudit musée, revêche et mal fagotée dans son uniforme administratif, gardienne qui s'inventera un rêve fantastique dans les costumes et avec les personnages descendus des murs, arriver à exposer tout le drame dans un seul et unique décor où les tableaux sont les seuls à s'animer, tout ça en restant un minimum crédible, CHAPEAU !

Quant aux protagonistes, s'ils ne sont pas tous sans faille, ils ont hissé le niveau assez haut pour que le plaisir soit comblé.

Placido Domingo, passé baryton au fil des ans, demeure un magnifique chanteur à l'énergie débordante, à la passion intacte et à l'engagement d'un jeune homme. Malgré un souffle un peu court (surtout au début), la voix est toujours belle, la ligne sûre. A l'écran, l'amoureux transi d'une aussi belle Léonora est, physiquement, moins crédible.

Marie-Nicole Lemieux bonifie sa prestation au fur et à mesure des airs et des ensembles. Son tempérament donnera une force dramatique effervescente au final.

Le jeune ténor gênois, Francesco Meli, possède une belle voix, un beau timbre profond, un style belcantiste de qualité. Il est un Manrico de belle prestance et assure vaillamment cette partition très difficile. Il lui manque un peu d'assurance dans l'aigu et la présence scénique d'un Domingo pour être crédible face à la belle Netrebko.

Quant à la Léonora de la soprano russe, on ne peut en dire que du bien ! Du très bien même, du magnifique, de l'extraordinaire, du fabuleux... Je pourrais aligner les superlatifs mais ce serait trop facile. Le timbre soyeux coule comme une source limpide, sa musicalité incroyable, sa vaillance dans toute la tessiture et une classe, une sincérité qui touchent l'âme et en font une très grande interprète du rôle. On n'oubliera pas son air du troisième acte, si long, si parsemé d'embûches et réclamant toute la gamme des qualités requises pour le servir au mieux. Un immense bravo !


Et voilà ! L'été se termine. La saison lyrique parisienne va reprendre bientôt et je ne manquerai pas de vous communiquer mes impressions au gré des spectacles et concerts auxquels j'assisterai.

Bonne rentrée à tous !