mardi 21 octobre 2014

Un "Barbier" de bande dessinée qui n'a rien à dire... et beaucoup à raser !


Il est de plus en plus dans l'air du temps d'oublier chanteurs et musique dans les productions d'opéra. Déranger l'écoute du spectateur - encore plus sûrement que le déranger dans ses certitudes - et ne pas se préoccuper de la musique ni des chanteurs est même, semble-t-il, devenu le moteur cérébral des metteurs en scène.

A l'Opéra Bastille en ce moment, on atteint des sommets avec cette mise en scène du vénitien Damiono Michieletto, dépourvue de la moindre nuance et de la plus petite parcelle d'émotion, importée du Grand Théâtre de Genève, cette bande dessinée haute en couleurs et pauvre en nuances, comble celui qui est venu pour VOIR et frustre celui qui a pris place pour ECOUTER.
Le décor ultra coloré représente une succession de façades d'immeubles pouilleux dans une région qu'on associe au sud. Un dispositif tournant central nous immerge dans les trois étages où toute l'action va se dérouler. Au bout du troisième tour de manège, on se lasse et on a le tournis.

On a vite assez, aussi, de l'agitation perpétuelle sensée animer l'action. Des figurants omniprésents aux personnages qui ne cessent de courir, monter, descendre, sauter... et j'en passe de plus douteux ! cette effervescence de dessin animé divertit mais, surtout, dérange l'écoute en n'apportant rien de construit, aucune lecture humaine, sociologique ou sociétale. Or, le "Barbier" de Beaumarchais est une réelle réflexion - la première avant le "Mariage de Figaro" - sur la condition humaine et, plus particulièrement féminine.

Mais sans doute s'est-on dit qu'on n'allait pas philosopher sur une musique aussi légère... Trop légère, effectivement, pour supporter tout ce charivari ; tout le monde la laisse (la musique) sur le bord de la route :
- le chef, Carlo Montanaro qui, après une ouverture pétillante, parvient difficilement à faire maintenir le cap de la mesure à ses chanteurs virevoltants.
- les chanteurs, excellents pour une large partie d'entre eux, contraints à davantage d'exercice physique qu'à vocaliser avec légèreté et précision
- le public - enfin, une petite partie du public (dont moi !) si j'en crois l'applaudimètre - qui s'évertue en vain à retrouver toute la subtilité de cette partition.

Or, on l'a vu ce samedi avec la retransmission des Noces de Figaro du MET, il est tout à fait possible de faire drôle et enlevé sans, pour autant, nuire à la musique. L'opéra - n'en déplaise à un soi-disant nouveau public - ça s'écoute d'abord ! Ce que Richard Eyre à New York et Laurent Pelly dans beaucoup de grandes maisons d'opéra, ont bien compris, eux qui alternent avec intelligence le mouvement, la lumière et la drôlerie, tout en préservant aux moments musicaux forts toute la bienveillance de l'inaction et du silence respectueux.

Pour conclure sur ce volet mise en scène, à l'opéra les portes ne doivent pas claquer comme dans une pièce de Feydeau !

J'en viens maintenant à la distribution qui fut, malgré toutes ces chausse-trappes, d'une belle qualité. Au travers de ce que j'ai pu lire ou entendre sur la distribution A, je n'ai, en définitive, pas eu à regretter je crois de n'avoir eu de place que pour la "B".

Carlo Cigny


Après les deux rôles secondaires que sont Berta et Fiorello, respectivement bien servis par Cornelia Oncioiu et Tiago Matos, le Basilio de Carlo Cigni manque de présence à la fois vocale et scénique. Il faut dire que l'air de la calomnie est tout le temps perturbé par un lâchage de journaux qui génère un bruit de papier froissé continu, le tout sur fond d'immeuble en toupie ! Comment produire le crescendo rossinien dans ces conditions ?



Florian Sempey


On attendait beaucoup du jeune baryton français (26 ans) Florian Sempey et on n'a pas été déçu. Tenté de trop vouloir s'affirmer dans son air d'entrée, il claironne un peu ses effets. Mais la voix et le timbre sont beaux, le style efficace, la présence indéniable et il reviendra avec plus de justesse à un chant plus mesuré au fil de la soirée. Chanteur à suivre ab-so-lu-ment !




Marina Comparato

Malgré des aigus un peu acides, la mezzo italienne Marina Comparato nous convainc vocalement et scéniquement. Certainement plus à l'aise que Karine Deshayes dans ce personnage primesautier, elle assure avec tempérament la ligne de chant et les vocalises de Rosina. Moins de délicatesse sans doute que la mezzo française, moins de style aussi mais plus de fantaisie, c'est ce qu'on lui demande ici.






Paolo Bordogna est un superbe Bartolo, plein de verve, plein de métier ce qui l'aide considérablement dans la course effrénée qu'on exige de lui.






Edgardo Rocha

Edgardo Rocha, jeune ténor uruguayen, possède la jolie vocalité rêvée d'un Almaviva. Malheureusement pour lui, Bastille est trop grand et ses qualités se perdent dans le brouhaha quasi permanent de cette guignolade.



En résumé, une soirée qui ne restera pas ancrée dans mes souvenirs lyriques les plus chers. Dommage...