mardi 3 novembre 2015

Moses und Aron de Arnold Schoenberg - De l'indiscible en noir et blanc

Opéra Bastille - 26 octobre 2015

Arnold Schoenberg (1874 - 1951) compose en deux années (1931-1932) les deux actes de son oeuvre inachevée, après l'avoir longuement mûrie, depuis 1925 pense-t-on.

Il écrit le troisième acte mais n'en composera jamais la partition bien qu'il ait affirmé, à plusieurs reprises, pouvoir le faire en quelques mois.

L'oeuvre est donc le plus souvent donnée en deux actes et s'achève aux "Tables de la Loi", comme la production actuelle de l'Opéra de Paris. Il arrive que certains théâtres restituent le troisième acte déclamé, comme l'a suggéré Schoenberg lui-même peu avant sa mort.

C'est ce que m'a appris le Kobbé, seule ressource consultée avant de m'asseoir dans mon inconfortable fauteuil de Bastille ce soir-là. Vierge de toute influence concernant cette production et dotée d'un très mince bagage sur l'oeuvre, je m'attendais à un spectacle total mais difficile. Ce fut total et difficile, musicalement, fort et souvent enthousiasmant, scéniquement globalement d'un grand esthétisme.

Mon attention a, bien sûr, subi maintes déperditions : musicales d'abord malgré la beauté, la clarté et l'immense talent des Choeurs et de l'Orchestre de l'Opéra de Paris sous l'admirable direction de Philippe Jordan. Grâce à lui, certainement, je suis parvenue à entendre ces sonorités incroyablement diversifiées, ces rythmes fractionnés, fragmentés ou rompus. J'ai pu apprécier l'énorme travail du Choeur dont les parties multiples se mélangent, chant et déclamation, chuchotements perceptibles par mes oreilles inaccoutumées. Merci à tous pour cet art abouti.

Sans présumer de ce que Patrice Chéreau, à qui Stéphane Lissner (actuel Directeur de l'Opéra de Paris) avait initialement confié la mise en scène, aurait conçu ce spectacle, je crois qu'on peut penser qu'il y aurait gagné en humanité et en direction d'acteurs.

C'est en effet - et à mon humble avis - ce qui manque à la mise en scène de Romeo Castellucci. Cependant, je lui reconnais un grand sens de l'esthétisme, surtout dans la première partie où, après la scène du Buisson Ardent (simple anneau lumineux rougeoyant) et l'accord d'Aaron pour être le porte-parole de son frère, le Peuble Elu, enveloppé de tulle blanc, se meut dans un épais brouillard laiteux où les visages et les mains sont comme "floutés". Pour le spectateur, l'effet est le même que lorsqu'on conduit, la nuit, sur une route qui se perd dans le brouillard et que la visibilité humide se borne à la longueur restreinte de la lumière floue des phares.

Belle idée les mots incohérents projetés à toute volée et qu'Aaron ne parvient pas à rendre compréhensibles pour le Peuble. Mais la projection en est trop longue et capte l'attention malgré soi, au détriment de l'écoute.

Le second acte voit le passage du blanc au noir, du bien au mal dans la scène du Veau d'Or. Ce dernier est très avantageusement représenté par un plantureux et affable taureau au poil frisé et court sur pattes, sans doute habitué des concours du Salon de l'Agriculture car d'une placidité à toute épreuve, même à celle de l'arrosage du liquide noir sur son pelage clair...

Personne sur scène n'échappe au liquide visqueux et sombre, le Peuble entier se roulant dans ce symbole représentant tout à la fois la luxure, l'orgie et l'obsession suicidaire.





Là encore, au bout d'un certain temps, les aspersions et les baignades noires lassent et dispersent l'attention.Heureusement, la chorégraphie très appropriée de Cindy Van Acker souligne d'une manière plus élégante la chute collective dans la débauche.




Lorsque Moïse revient du Mont Sinaï, les mots des Tables de la Loi s'impriment au sol, l'encre noire s'est logée dans les aspérités des lettres qui apparaissent lorsque le sol est nettoyé de cette fange.

Tous les rôles, très épisodiques, sont parfaitement chantés par des membres du Choeur.



John Graham-Hall, ténor au timbre lumineux, campe un Aron très solaire. Sa vaillance est altérée par un vibrato sérieux dans le médium mais les aigus sont éclatants.







Le Moses de Thomas Johannes Mayer m'a paru, quant à lui, tout à fait irréprochable. Beau timbre de
baryton-basse, ample et bien projeté.


A tous les deux je dis toute mon admiration pour l'interprétation de ces deux rôles si ardus musicalement et vocalement.

J'ai donc découvert avec un grand contentement cet opéra dodécaphonique du XXème siècle. Il est probable que j'irai le voir de nouveau car, bien entendu, beaucoup de subtilités m'ont échappées. Néanmoins, le jour n'est pas encore venu où je l'écouterai dans mon salon...

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