dimanche 2 juillet 2017

Dernières émotions

Une fois n'est pas coutume, avant de vous entretenir de musique, je vais rendre ici mon hommage à une immense Dame qui n'est ni une chanteuse, ni une musicienne, mais qui fut une grande figure de la vie publique et qui vient de quitter ce monde : Madame Simone Veil.

Survivante de l'enfer des camps, elle a œuvré, bataillé, résisté et soutenu tous les combats des femmes, de la loi sur l'avortement qui porte son nom jusqu'à la défense de tous les droits des femmes dans les instances qui soutiennent leurs luttes pour une égalité de traitement dans tous les actes de la vie.

Je m'incline aussi devant l'académicienne qui s'illustra par son intelligence et ses travaux.

Je salue, enfin, la droiture et la probité de cette femme politique que tous les nouveaux élus prendront et garderont, je l'espère, comme exemple tout au long de leur mandat.


Je reviens à présent sur ce mois de juin riche en émotions musicales, mais pas seulement.

Le premier du mois, je prenais place dans la salle de l'Odéon pour une représentation hors les murs de la Comédie Française. Le théâtre, avant l'art lyrique, fut ma passion. Il le reste mais il faut bien faire des choix. Deux raisons à cette soirée :
- la pièce "Le Testament de Marie" de l'irlandais Colm Toibin qui a attisé ma curiosité
- son interprète : Dominique Blanc.

Et je n'ai pas été déçue. Le Testament de Marie place Marie dans sa condition de femme et, surtout, de mère. Jamais avant Toibin personne n'avait imaginé faire parler Marie, en faire autre chose que la vierge des Écritures et des tableaux, autre chose que celle qui voua sa vie à son fils mais qui n'a rien à dire.
Là, sur cette scène au décor très pauvre mais riche de symboles, Dominique Blanc nous raconte la vie et, surtout, la mort de Jésus mais avec ses mots, ses émotions, son ressenti et ses propres réflexions.

Ce qu'on lui rapporte après son départ du foyer, ce qu'elle a vu et vécu avant le départ du fils et lors de sa Passion. Ses mots sont simples, ses réflexions souvent drôles, mais ses jugements sans appel : "Ils nous amenait des désaxés" dit-elle par exemple au début en parlant des disciples. Son étonnement sur ce qu'on lui narre qui ne correspond pas au souvenir qu'elle en garde : "On l'a vu parler devant des foules" "Il aurait accompli des miracles"...
La douleur ensuite à la vue des tortures de la crucifixion, la honte de sa peur, de sa fuite avant sa mort.
Et cette fin : "Ils ont dit : Il est mort pour sauver le monde. Cela n'en valait pas la peine conclut-elle, cela n'en valait pas la peine".

Le ton de Dominique Blanc est parfait, clair et prenant, les intonations extrêmement justes, les changements de rythmes nous embarquent, les silences permettent d'assimiler le texte. Chaque mot est pesé, pensé, mesuré, incarné mais tout coule et nous inonde, nous touche et nous convainc.


La Maison de la Radio proposait en début de mois un concert de lieder par le ténor allemand Werner Güra, spécialiste du genre, accompagné au piano par Christoph Berner. J'ai regretté que le "104" n'ait été qu'à moitié occupée ce soir-là malgré un tarif de 15 € très abordable.
Werner Güra



Nous y étions, nous et avons partagé ce moment avec Natalie Dessay notre voisine d'un soir.
Stéphane Goldet a avantageusement présenté ce concert apportant les précisions sur le programme, nous éclairant de quelques traductions que ne comportait pas les feuillets qui nous avaient été remis... Les lieder étaient inscrits en allemand, sans traduction, sans que les poèmes eux-mêmes ne soient imprimés. Il est important que le public francophone puisse comprendre ce qui se chante.

Un programme très bien construit alternant des séries de lieder de Robert Schumann, de Clara Schumann et de Johanes Brahms, entrecoupés de quelques "Nachtstücke" de Schumann au piano seul.
Christoph Berner
Le timbre aérien mais cependant dense de Werner Güra, sa ligne stable et sa belle expressivité furent un ravissement tout au long de son interprétation de ces lieder, soutenu en complicité par la belle musicalité de Christoph Berner.

Pour en apprendre davantage, je vous engage à suivre les deux liens suivants :
- la page que Forum Opéra consacrait à ce récital
- le site de France Musique pour écouter et/ou réécouter ce récital


Quatre jours plus tard, j'assistais à l'enregistrement de l'avant-dernier "Portraits de famille" de la saison où Philippe Cassard nous proposait le Quintet de César Franck qu'il interpréta brillamment avec le Quatuor Hermès.
Une oeuvre intéressante et peu programmée dans les concerts.
A écouter ou réécouter sur France Musique-Portraits de famille




Et puis, c'est avec des sentiments mélangés et contradictoires que nous avons assisté à l'enregistrement de la dernière émission des "Plaisirs du Quatuor", sa productrice Stéphane Goldet étant "remerciée" par le Directeur...

Contradictoires parce que le concert auquel nous avons eu le bonheur d'assister fut, dans ses deux parties, un fabuleux moment d'intensité musicale ! Le bonheur donc mais, aussi bien sûr, la tristesse de penser que nous assistions pour la dernière fois ce soir-là à un enregistrement des "Plaisirs du Quatuor".



Raphaël Sévère est à la clarinette ce que Renée Fleming est à la voix : tout en moelleux, tout en rondeur, tout en légèreté. Si la soprano restera Mme Double-Crème, le clarinettiste peut devenir M. Double-Velouté ! Il tire de son instrument des sons incroyablement piano, les attaques sont d'une douceur infinie, l'ensemble nous fait frissonner de plaisir et d'émotion.




Bravo au Quatuor Van Kuijk qui a interprété avec Raphaël Sévère le quintet de Brahms avec beaucoup de brio.





Le "Quatuor pour la fin du temps" d'Olivier Messiaen  pour piano, violon, violoncelle et clarinette plongea ensuite tout le monde dans un tout autre état, une sorte d'apesanteur qui suspend notre esprit et l'entraîne vers des hauteurs insoupçonnées au plus fort des strophes.


Cela, c'était pour la partie "Plaisirs". Ensuite, Stéphane Goldet nous a dit au-revoir et a refermé, avec une émotion partagée, le livre des trente années où elle nous a ravis par ses émissions toujours captivantes, ses explications claires diffusées de sa jolie voix aux sonorités fraîches et musicales.




Nous sommes tristes, bien sûr, à l'idée de ne plus vous entendre nous vanter les qualités des quatuors de votre cher Haydn mais nous sommes certains que votre passion pour la musique ainsi que toutes vos autres passions vous porteront vers des horizons variés et riches, tout aussi chargés de talent et d'intensité.





Nous vous remercions pour toutes ces heures radiophoniques qui nous ont nourris de votre savoir et vous souhaitons tout le meilleur dans vos projets et vos prochaines vies.

Ne manquez pas d'écouter la dernière des Plaisirs du Quatuor sur France Musique !


Il me reste à vous parler de mon déplacement à Sens (!) - enfin, seulement depuis le sud de la Seine et Marne... - pour assister à la retransmission, depuis Covent Garden, de l'Otello de Verdi avec notre Jonas Kaufmann qui vient de se frotter à ce rôle.

Aucun regret, ça vaut le voyage comme on dit dans certains bons guides touristiques...

Dans une mise en scène de Keith Warner qui place l'action dans un décor épurée, les costumes Renaissance revisitée sont élégants et les éclairages bien distribués. J'ai regretté l’emphase torturée qui fait trop souvent se rouler au sol le ténor et, aussi, le trop plein d’hémoglobine final qui amène des ricanements à un moment musical intense.





Les Chœurs et l'Orchestre du ROH sont emmenés par la baguette de Antonio Pappano, de manière
enlevée, dans un tempo plutôt rapide.




Nous avons eu le plaisir de reconnaître Thomas Atkins dans le rôle de Rodrigo, jeune ténor que nous avions découvert en 2015 à Fontainebleau lors des exhibitions de la Guildhall School of Music (voir mon article sur ce spectacle où je lui prédisais un bel avenir).





Marco Vratogna campe un Iago sans finesse mais vocalement bien en place. Manipulateur et sans scrupules, la voix ample et longue du baryton passe bien et sait, quand il le faut, trouver des nuances.





Maria Agresta est une bonne Desdemona. On ne peut rien trouver à lui reprocher, tout au moins au cinéma où l'on ne peut juger de la puissance. Mais le chant est nuancé, les aigus bien maîtrisés. Il lui manque, à mon sens, une chaleur et un timbre plus coloré.



Quant à Jonas Kaufmann, il entre dans la légende des grands Otello. Le ténor va au bout de ce rôle écrasant sans fatigue apparente. Je ne dis rien de la puissance, là encore, puisqu'elle est tributaire de la prise de son. Mais l'engagement est certain, les nuances magnifiques, l'intelligence de l'interprétation, la couleur de la voix exactement ce qui convient à ce sombre personnage qui se perd dans sa jalousie.

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